Faire un effort quotidien d’auto-perfectibilité, comme moi (au cas où vous avez pas remarqué) peut confronter à pas mal de contradictions. Etre riche et être de gauche en même temps, lécher les bottes de son boss tout en restant sympa aux yeux de ses collègues, ou encore que manger gluten-fee sans passer pour une connasse sont des bons exemples de combinaisons périlleuses mais parfois nécessaires.
Mais ces acrobaties ne sont rien à côté du paradoxe auquel fait face l’écrivain « populaire », celui (ou celle) qui écrit des romans « féminins », « de plage », voire pire, « de gare ». Ces qualificatifs, qui pris hors de contexte sont plutôt mélioratifs, se transforment en quasi insulte quand ils sont adossés au terme « livre », en tout cas du point de vue de l’écrivain « puriste ». Pourtant le romancier de gare n’en reste pas moins écrivain. Le paradoxe France Culture et Marc LévyL’écrivain populaire doit en fait conjuguer :
Récemment on m’a demandé : « Je cherche un roman pour la plage – c’est bien pour la plage, non ? » D’abord j’ai été ravie que mon teint hâlé d’origine hongroise ait pu faire penser que tout ce que je produisais s’apprêtait au balnéaire. Puis je me suis rebiffée : comment ça un « roman de plage » ? Je suis passée dans « Ce Soir ou Jamais » quand même ! Sur France 2, une chaîne du service public. Avant de me contre-dire : quelle merveille, accompagner les plagistes de mes jeux de mots et prouesses syntaxiques, tisser avec eux un lien pendant que leurs esprits apaisés bronzent tranquillement. Je n’ai pas su quoi répondre. Mon roman parle de deuil, de suicide, de relation père-fille, questionne l’expatriation dans un contexte ultra-connecté, la fuite en avant, les chocs psychologiques, autant d’éléments qui répondent à l’impératif France Culture. Mais il est drôle, se lit comme un blog, dans un langage oral, et un bon paquet des péripéties se passent entre la jungle et la plage Cambodgienne. Par ailleurs Frédéric Beigbeder a comparé mon héroïne, Madeleine, à Bridget Jones. Si c’est pas de la pulvérisation Marc Lévy, ça. Le fait est que dans un monde comme dans l’autre, le monde France Culture et le monde Marc Levy, l’opposé n’est pas vraiment le bienvenu. Surtout quand on fait rire, alors mieux vaut aussi « faire réfléchir » – sinon on n’est rien de plus qu’un clown sans intérêt. A l’exception de très rares maîtres(ses) qui ont réussi la prouesse d’écrire des romans franchement accessibles sans se brouiller avec l’intelligensia germano-pratine, quand on fait dans le bouquin de sac de plage, on n’est pas le bienvenu dans les pré-sélections des prix littéraires. A l’inverse, quand on nourrit les amateurs de romans à l’eau de rose (ou de science-fiction, ou de romances érotiques pour pré-adolescentes et quinquas ennuyées, tous les vilains petits canards de la littérature en somme), ce serait les trahir que de défendre bec et ongles le traitement réservé aux best-sellers dans le « Masque et la Plume« . Romancier(e)s de plage, on est Team Laurent Ruquier, pas Team Jérôme Garcin. Quand on se situe dans une zone grise, comme moi, on se retrouve de facto poussé à défendre son statut de romancier-plagiste puisque, du point de vue France Cultre, on ne peut pas décemment l’être sans avoir une bonne excuse. On devrait avoir honte d’avoir utilisé sa plume sacrée pour faire des blagues sans même avoir pensé à caser la moindre référence à Roland Barthes avant le troisième chapitre. On devrait accepter sans broncher d’être relayé à la littérature de seconde zone sous prétexte qu’on a choisi de n’aborder ni l’inceste, ni la Shoah, ni la vie des intellectuels des années 70 dans son récit. Et moi qui croyait qu’on écrivait des bouquins en toute liberté ! Que le roman c’était la quintessence de l’expression libre, que l’écriture c’était la révélation de l’intime sans filtre, sans préjugés, que s’essayer à la narration c’était une invitation perpétuelle à se défaire des carcans. Quelle naïveté. Ecrire des romans de plage, ce sacerdoce. Quand on a publié un roman, on n’est pas encore sorti de l’auberge. On a écrit un roman ? On n’est pas encore tout à fait écrivain. On en a écrit un deuxième ? On n’est toujours pas écrivain – « romancier », à la limite. On passe à la Grande Librairie pour parler de son livre ? Ok, à condition de décrocher un prix ou deux, de cultiver le violet foncé de ses cernes et de fumer sur les plateaux télé. Mais qu’on en ait écrit un, deux ou quarante, lauréats ou pas, plébiscités par la critique ou totalement ignorés des médias, il faut choisir son camp : France Culture ou Marc Levy. Moi-même je n’ai toujours pas fait la part des choses. Parfois, je cède à l’impératif "France Culture", je revêts l’habit noueux de l’écrivain torturé, je chausse mon stylo plume (car oui, tous les écrivains possèdent des stylos plumes) et couche sur le papier mes pensées existentielles. Une partie de moi le fait parce qu’elle en a envie, mais une petite partie le fait aussi parce qu’elle veut sa revanche sur tous ceux qui ont catégorisé Madeleine chez les « Bridget Jones » et attendu le mois de Juillet pour acheter mon livre parce qu’avant, ils ont lu des romans plus « exigeants ». Parfois je me marre en écrivant mes propres blagues (je suis très autonome dans mon sens de l’humour). Mais la plupart du temps, je me marre pas du tout, je cravache et je galère et je bosse, je sors mes tripes, chiale devant mon écran, déchire des cahiers de notes, tout ça pour écrire un roman de plage. Car écrire un roman de plage, c’est aussi difficile que n’importe quel roman. Au fond de moi, je sais bien que je serai jamais tout à fait du matériel France Culture. D’une part, parce que j’aime bien critiquer les intellos snobs, d’autre part, parce que j’ai la flemme de chercher des citations de Roland Barthes pour mes prochains bouquins. Le problème, c’est que la catégorisation du romancier est binaire : soit France Culture, soit Marc Lévy. Et puisque je ne me suis pas revendiquée Télérama, je me suis fait ensabler contre mon gré. Je sens bien que mon éditeur, ça l’embête un peu de me mettre dans cette catégorie. Quand je lui ai soumis mes interrogations (« Suis-je une écrivaine de plage? » – « Fais-je dans la Chick lit ? »), il m’a rappelé que « 90% des lecteurs sont des lectrices » et que par conséquent, le concept de « Chick lit » n’a pas vraiment de sens. Et je crois qu’en bon auditeur de France Culture, il a quelques scrupules à arguer du bikini dans ses communiqués de presse. Finalement, je me retrouve dans une catégorie un peu intermédiaire, celle du roman « faussement léger » – certains y voient un bon divertissement qui leur donne envie de voyager et zappent totalement la quête existentielle. D’autres se reconnaissent profondément dans la description de la douleur du deuil. Et puis d’autres encore (mes préférés), voient tout à la fois. Mes amis écrivains-France-Culture ils me disent de pas trop déconner quand je fais la promo de mon livre, parce qu’il faut que je sois « prise au sérieux par les critiques ». In fine ce qu’ils me font comprendre, c’est que déjà que c’est pas franchement Télérama dans le style, si en plus je me refuse à me branler la nouille pendant des heures sur mon pacte d’écriture, on va vraiment finir par croire que je l’ai cherché, le qualificatif Bridget. Ce que je préfère en voyage, c’est bénéficier d’une absence totale d’images mentales de ma destination. La virginité absolue d’a priori. Une page blanche, comme en écriture, qui suscite l’inspiration, la curiosité, et une forme d’effroi excitant. C’est pour moi la seule et unique manière de vivre une véritable aventure.
C’est une tâche ardue qui nécessite une forme de discipline, car nous sommes bombardés d’images – et la télévision faisant bien son boulot, elle nous montre celles qu’on a envie de voir, d’endroits qu’on veut visiter. Avant Internet, en l’absence de voyage, on pouvait se laisser transporter par les livres, aujourd’hui on a les séries américaines. Les livres nous laissaient la marge d’interprétation des descriptions, l’appréciation du choix des mots. Aujourd’hui, on a vu mille fois New York avant d’y avoir mis les pieds, on visualise l’architecture florentine, on sait reconnaître Big Ben. La prégnance de l’image, de l’explication, de la description est telle, qu’on a déjà senti les effluves de coriandre avant même d’être allé en Asie. Si on veut vivre pleinement une aventure, il faut oublier toutes ces images, vider son disque dur. Acheter un guide touristique, pourquoi pas, mais ne le lire qu’après être arrivé à bon port. Ainsi on s’émerveillera de tout, d’une part parce que c’est beau, parce que c’est différent, et surtout parce que c’est inattendu. Il n’y rien de pire, en voyage, que de se dire : « Ah c’est comme sur la photo ». Bien sûr, on ne peut pas ne pas savoir à quoi ressemble la Tour Eiffel, la Statue de la Liberté ou le Taj Mahal. Et quand on les voit, de pierre et de métal, se tenant fièrement devant nous, témoins millénaires de l’imagination humaine fertile, on est piqué d’émotion. Mais le voyage ne se résume pas qu’à la checklist des monuments à avoir vu dans sa semaine. C’est l’envahissement d’impressions diverses et de sensations inédites, un patchwork tout autant émotionnel que rationnel, qui nous font nous dire : « j’y suis allé ». Chaque détail compte, la forme du menton des autochtones, la règle locale pour les pourboires, le nom de l’enseigne de l’épicerie, tout ce qui semble anodin mais à quoi rien ne nous prépare. Et qui nous donne la sensation si agréable de découvrir. En sortant de l’aéroport, on a toujours un moment de « tampon », car tous les aéroports se ressemblent, et aucun de nous donne d’indice sur ce qui nous attend. Il y a toujours du béton, des taxis, des touristes rougeauds et des caddies qui trainent. On peut avoir plus ou moins chaud, on peut voir plus ou moins de teintes de couleur de peau, mais on ne plonge pas encore dans le grand bain. Dès qu’on s’aventure un peu plus loin du tapis de bagages, on commence à réaliser : les couleurs des panneaux de signalisation. La hauteur des maisons. Les décorations des ronds-points. La densité de la circulation. Et puis en arrivant, on commence à remarquer. Ici, on parle plusieurs langues différentes. Je n’arrive pas à interpréter ce sourire. Je pensais que la lumière du jour serait plus intense. Et on passe à côté de millions de découvertes que notre cerveau absorbe et que notre conscience ne traitera que plus tard. J’adore arriver dans une ville sans connaître le nom des quartiers. Laisser les gens me dire : « Il FAUT que tu fasses ça ». Je n’aime pas dire « J’ai fait cette attraction touristique ». Même si elles ne sont pas rocambolesques ni pleines d’actions : je veux juste vivre des aventures. La vie dans un van – et par « la vie » j’entends « plus de 48h » – a fait rêver plus d’un citadin aux fesses quotidiennement coincées entre un strapontin de métro et le coude d’un touriste rougeaud.
Assez caractéristique de la période 24-27 ans – à savoir, un permis de conduire bien solide, un budget modeste pour ne pas être tenté par les hôtels de luxe mais permettant tout de même de faire le plein d’essence, et quelques semaines de temps libre, de type fin d’étude ou première transition professionnelle – les “road trips” font légion dans les projets de vacances de l’environnant trentenaire en recherche d’aventure et de dépaysement. Car le bitume du road trip n’est pas celui du boulevard périphérique : par le simple fait d’être loin, il en devient plus doux sous les roues, on ne le voit plus gris mais bariolé de couleurs exotiques, reflétant les paysages aux changements incessants. Car les toilettes du camping ne sont pas celles du 3ème étage, bâtiment B : par le simple fait de constater l’absence de papier, on se rappelle à l’affirmation de notre libre-arbitre, à la victoire de l’homme sur l’asservissement salarial. Car la préparation des trajets d’un road trip n’est pas celle d’un itinéraire RATP : par le simple fait de consulter un GPS, voire, ô moment d’épiphanie, une carte Michelin en authentique papier, on se sent Christophe Colomb moderne, explorateur de l’éternel. On comprends pourquoi, entre déclarations d’impôts et réunions du lundi matin, les jeunes urbains aspirent au road trip. Et moi la première. Mais sommes-nous tous prêts à troquer notre pass Navigo pour un véhicule qui nous sert aussi de maison ? Etude de cas : moi Dans la construction de ma vie j’ai toujours été animée simultanément par le souhait de me fondre dans la masse et celui de m’en démarquer fièrement. De faire tout ce qui est à la mode, mais d’ajouter ma touche d’originalité. De faire partie et de faire bande à part. D’aucuns diraient que j’ai sans doute un terrain tout à fait propice à la cyclothymie une tendance à l’esprit de contradiction, mais voilà, je suis comme ça. Relou. Complexe. C’est pourquoi j’ai décidé de faire un road trip dans un van. MAIS si je m’étais contentée de faire un road trip dans un van en Australie ou en Californie, comme tout le monde, ça n’aurait correspondu qu’à 50% de ma personnalité. La partie mouton de panurge. Moi, j’ai décidé d’aller (attention jeu de mots) me la rouler douce non pas au soleil tropical ou (attention deuxième jeu de mots) sur les roues de Jack Kerouac, mais d’aller planter mon duvet en ISLANDE. Pour ceux qui auraient un peu dormi pendant les cours de géographie au lycée, la différence entre l’Australie et l’Islande au mois de Mai, c’est environ 22°C de température et 75 km/h de vent. Quelle idée saugrenue d’aller dormir dehors en Islande hors saison, me direz vous ? La réponse officielle c’est “pour les paysages, banane”. La réponse officieuse c’est que, sous mes airs de dinde superficielle tout à fait sympathique, je suis en réalité une vilaine misanthrope qui préfère se peler les fesses plutôt que se mêler à la populasse touristique en juillet. Chacun ses priorités. Et grâce à cette expérience unique, au coeur des extrêmes de la vie nomade, je suis aujourd’hui en mesure de vous fournir cette check-list clé en mains, afin de déterminer si vous aussi vous êtes fait (ou pas !) à la vie en van. Pour être van-compatible, il vous faudra:1. Un van Un basique à ne pas oublier ! En Islande, les compagnies de location, qui semblent en réalité être différentes marques d’un même monopole, proposent toute l’année (oui, toute l’année, même quand il fait, genre, – 15 °) des “camper vans” à louer pour la modique somme de 2 millions de dollars (c’est l’effet que ça m’a fait). Ne vous laissez pas avoir par la publicité mensongère : les “camper vans” islandais ne sont rien d’autre que des RENAULT KANGOO. Oui. Notre Kangoo, tout ingénieux d’ergonomie soit-il, ne méritait clairement pas le statut de van. On a eu beau lui attribuer le doux nom de “Lovemobile”, pour lui donner un petit côté 1. Batman et 2. romantique (sans réaliser que “lovemobile” pouvait tout à fait aussi évoquer la prostitution ambulante), appeler l’interstice entre réchaud à gaz et porte arrière notre “étagère de la chambre” et même allumer des bougies (enfin, une bougie), ça restait un Renault Kangoo. Alors quitte à mettre 2 millions de dollars, moi je dis, mettez-en 4 et prenez donc un camping-car. Voire, OSEZ le mobilhome. 2. Un permis de conduire Cela peut paraître évident, mais il vaut clairement mieux avoir un permis de conduire pour faire un road trip. Par exemple, moi, je n’en possède pas. C’est donc mon mec qui s’est tapé 2000 bornes en 6 jours. En même temps, c’était son cadeau d’anniversaire (à moi). Lui ai-je soufflé l’idée ? Oui. Aurait-il pu l’ignorer ? Clairement, non. Ceci explique cela. A défaut d’avoir le permis, vous avez donc aussi l’option d’être autoritaire. 3. Le sens de l’orientation Si vous faites, comme moi, le pari fou d’effectuer votre premier road trip en Islande, a priori, l’orientation ne devrait pas trop vous poser de problème dans la mesure où l’Islande est une île de type circulaire dont la côte est longée par une route principale unique (appelée “Road 1”, vous pouvez pas la rater). Est-ce à dire qu’on ne s’est pas perdu une seule fois ? Non, bien sûr. J’étais co-pilote et nous nous sommes perdus, n’y voyez aucune relation de causalité. Je reste intimement persuadée qu’à un certain niveau subconscient, nous avons fait exprès de nous perdre afin de vivre pleinement l’expérience road trip. 4. Un esprit de symbiose avec la nature Oui, en situation de camping sauvage, il est possible de se faire réveiller par une horde de chevaux vikings qui assaillent votre van (enfin, votre Kangoo). Ces choses arrivent. Mieux vaut vous entraîner à leur murmurer à l’oreille. A toute fins utiles, voici quelques éléments de vocabulaire islandais: “nokkuð rump” (“jolie croupe”) “láta rearview spegil minn” (“laisse mon rétroviseur”) “óvinur langskip!” (“un drakkar ennemi!”) (ça c’est pour faire diversion). Et sinon, voyez le côté positif des choses, si vous êtes coincés dans votre Kangoo pour cause d’attaque de chevaux vikings, ça vous enlèvera toute envie d’aller faire pipi dehors. 5. De la résistance aux éléments Revenons à mes contradictions psychologiques. Comme je vous le disais, je m’étais dit, jusqu’au dernier moment, jusqu’à l’arrivée même à Reykiavik, que j’étais le genre de personne à supporter un road trip en van en Islande (alors que je ne possède pas de vêtement de type “polaire”, question de principe). J’aurais du pourtant avoir la puce à l’oreille quand le loueur de Kangoo nous a fait prendre une assurance anti-arrachage de porte en cas de météo hasardeuse. Le retour à la réalité n’en a été que plus dur lorsque, bercée d’illusions, au doux rythme des rafales de vent glacé contre les portières, le front à même la tôle, sans avoir la force de sortir le bras du duvet pour tirer la couverture à séchage rapide qui nous faisait office de rideaux, je me répétais : “Pourquoi suis-je donc à la recherche perpétuelle de la preuve que je suis une badass ?” C’est probablement la faute de la société. Si c’est aussi votre cas, référez-en à la société. 6. Une pilosité avantageuse J’ai passé de nombreuses heures à anticiper l’impact de devoir faire pipi dehors pendant une semaine sur la stabilité de mon couple. En oubliant, bêtement, que le principal reste quand même de ne pas ressembler à un grizzli. Car une femme qui fait pipi dehors, passe encore, mais un grizzli qui fait pipi dehors, c’est la fin de toute vie sexuelle assurée. 7. Des yeux Parce que l’Islande c’est avant tout des volcans majestueux, des cascades gigantesques, des curiosités cachées, des geysers turquoises, des sources d’eau chaude à chaque coin de route, des randonnées sublimes, des baleines, des rennes et des macareux, des sommets enneigés, des champs de lave désolés, des fjords profonds, bref, ça vaut pas mal le coup de faire pipi dehors, si vous voulez mon avis. On pourra pas dire que je vous avais pas prévenus. DE RIEN ! Conseils avisés de romanciers variés
Etre écrivain, c’est drôlement chouette parce que c’est un peu comme être Dieu. On peut vivre reclus de la population sans que personne ne nous dérange, on peut décider d’être en 2017 ou faire un saut vers 3450 sans plus d’outil que son imagination, mais surtout, surtout : on peut créer des gens et leur donner des noms. Bon, sur ce dernier point, vous allez me dire : c’est pas vraiment le privilège de Dieu, cf les milliards de parents sur la planète. Mais il se trouve que je n’ai pas d’enfant, par conséquent, écrire des romans est pour moi un bon substitut. Au delà de l’immense plaisir de la toute-puissance créatrice, reste que créer des personnages cohérents n’est pas un exercice facile, surtout quand il s’agit de leur affubler un patronyme qu’on risque de taper plusieurs centaines de fois dans son manuscrit. Imaginez, vous décidez d’opter pour un prénom qui grince un peu, par exemple Myriam. Multiplié par 250 occurrences. Myriam-Myriam-Myriam-Myriam (etc). Le prénom, ce n’est pas une décision à prendre à la légère. Il peut très bien arriver qu’un prénom arrive par miracle dans votre cerveau ou votre petit carnet, comme la première goutte de pluie sur une terre asséchée : clic, ça sera Katarina / Marc-Aurèle / Diego-le-rigolo, ou ça ne sera pas. Mais mieux que les illuminations mystiques : découvrez les conseils de quatre romanciers de talent (et de moi) La technique de la référence littéraire, ou le clin d’oeil intello La référence littéraire c’est le double coup gagnant : d’un part, c’est s’assurer les bonnes grâces du sérail littéraire (les critiques du Masque et la Plume sur France Inter ne manqueront pas de souligner “l’évident renvoi à Ono-dit-Biot dans son troisième opus, huhu”). D’autre part, la charge symbolique d’une référence littéraire c’est autant de paragraphes en moins à écrire pour expliciter les tenants et aboutissants des confins du tempérament de votre héros. Carole Llewellyn, l’auteure d’Une Ombre Chacun (Belfond, Avril 2017) raconte le parallèle qu’elle a fait entre ses personnages et ceux de Virginia Woolf : “Il fallait pour Clara et Seven des prénoms qui se rapprochent des prénoms des personnages de Mrs. Dalloway. J’ai travaillé avec Clarissa pendant un moment mais je n’étais pas convaincue de la pertinence de laisser le prénom choisi par Virginia Woolf. Au pire, cela aurait été prétentieux, au mieux cela aurait dénaturé le personnage en lui forçant une ascendance dont elle était dépourvue. Car Clara n’est pas Clarissa, elle partage une ombre, un goût de l’ennui, un questionnement profond sur le sens de sa vie mais les deux personnages sont bien distincts.” (la suite sur son blog) Référence littéraire par ricochet, j’ai appelé l’héroïne de mon premier roman Madeleine. Pour faire un clin d’oeil à ce *petit* bouquin bien connu des librairies spécialisées qu’est la Recherche du Temps Perdu. Je n’ai peut-être pas fait preuve d’une grand extravagance, mais il faut dire que tout convergeait :
Bref. Technique suivante. La technique du Doppelgänger Interrogée par mes soins jusqu’à Moscou, Anaïs Llobet, l’auteure des Mains Lâchées (Plon, 2016), m’a révélé le caractère hautement intime du choix du prénom de son héroïne, puisqu’il s’agit d’un double d’elle-même (note pour plus tard : si jamais elle choisit de devenir espion, je saurai la repérer). “J’ai écrit mon roman Les Mains Lâchées à la première personne et dans les versions préliminaires, le prénom de ma narratrice n’apparaissait pas avant la 50ème page ! Pourtant son prénom m’était évident : je n’ai pas hésité une seule seconde avant de la nommer Madel. Mon deuxième prénom est Marie-Madeleine*, et j’ai souvent pris comme pseudonyme sa version « light », Madel. Comme mon livre fait le récit d’un événement que j’ai vécu de très près (le typhon Yolanda/Haiyan aux Philippines), je l’ai écrit en me protégeant derrière la narratrice. En s’appelant Madel, elle était devenue une sorte de double. Un double qui pouvait revivre ce que j’avais enfoui en moi.” * étrange coïncidence avec le paragraphe précédent, vous ne trouvez pas ? La technique Cour de récré Cette technique consiste en associer le trait de caractère de votre héros avec une personne qui a marqué votre vie, notamment dans vos plus jeunes années. Pour moi, une Sabine est nécessairement blonde et un peu ennuyeuse. Une Diane est forcément un peu bitchy. Une Laetitia a grandi dans le Nord-Pas-de-Calais. Aymeric Vinot, l’auteur de Quatorze (à paraître aux Editions du Mont Blanc), a dû trouver les noms des (comme son nom l’indique) quatorze équipiers d’une expédition en montagne à la conquête d’un sommet de l’Himalaya, dont il prend le point de vue. Il explique : “Quand je crée un personnage je me fonde toujours sur un détail que m’inspire une personne réelle : une particularité physique, une anecdote, un trait de caractère. Le personnage final n’a souvent rien à voir avec celui qui me l’a inspiré mais c’est ce détail d’origine qui me donne l’impulsion. Par conséquent, je prends souvent le véritable prénom de mon inspiration, je l’utilise tel quel ou j’en invente une déclinaison.” Salomé Berlemont-Gilles, l’auteure d’Argentique (JC Lattès, 2013), utilise les souvenirs de ses aventures maritimes enfantines : “En général, je donne au personnage le nom de la personne qui me l’a inspiré. Les origines de l’inspiration, comme les paroles de Booba, sont parfois sibyllines ou reculées. A titre d’exemple, mon instructeur de kayak de mer en classe verte avait les yeux bleus-iceberg et s’appelait Vincent. Depuis, tous mes personnages aux yeux vaguement clairs s’appellent en général Vincent en première écriture. C’est le fonctionnement qui a primé pour Argentique. Juan était un prénom standard, qui me rappelait un gamin que j’avais croisé et qui m’avait fait rire. Le héros du livre, un gamin qui, malgré ses mésaventures, fait rire, s’appelle Juan.” La technique AuFeminin.com Après avoir déterminé la personnalité, la catégorie socioprofessionnelle, l’âge, les mensurations et la couleur des cheveux de votre héros ou héroïne, ne reste plus qu’à demander à Internet ce qu’il en pense. Comme le font visiblement des milliers de futurs papas et mamans. Pas de jugement pour les parents, mais d’un point de vue tout à fait personnel, je recommande de n’opter pour cette technique que pour les personnages secondaires. Carole Llewellyn raconte : “Il me fallait un équivalent français, contemporain mais bourgeois de Richard, et j’ai trouvé que Charles remplissait bien ces critères. Souvent je cherche au hasard sur un annuaire ou une liste de prénoms comme il en existe sur internet. Après tout choisir un prénom est une étape, une façon de donner naissance à un personnage.” Le dilemme du re-baptême Que se passe-t-il quand on change d’avis en cours de route ? Qu’au 56ème “Myriam” écrit, vous n’en pouvez plus ? Pour moi, c’est un peu comme si vos parents avaient décidé subitement de changer d’avis pour vous, au moment de fêter vos 11 ans, vous auriez été vexés, non ? Mais mon avis n’est pas partagé par tous. Pour Salomé Berlemont-Gilles, par exemple, “ce n’est pas parce qu’on a utilisé un nom pour un personnage pendant l’écriture du roman, qu’on doit le garder à la fin. Je sais, c’est aussi triste qu’abandonner le surnom MSN qu’on avait pendant la préadolescence (Blacktiger0293 pour ma part). Mais c’est également tout aussi nécessaire. Vos personnes évoluent et grandissent au loin de l’inspiration à mesure que vous écrivez – c’est leur faire justice et reconnaître votre travail que de leur donner l’appellation contrôlée correspondante. Et pas mal aussi pour éviter un procès. Dans ce cas, le meilleur ami de l’écrivain est la fonction rechercher-remplacer de son traitement de texte. En général, moi je choisis en guise de remplacement un nom à l’origine similaire. (Ex : prénoms d’origine hébraïque, Rachel et Salomé 🙂” Anaïs Llobet a elle aussi été confrontée à ce dilemme : “Renommer mes personnages en cours de route, c’est toujours déchirant. Je les ai fait grandir au fil des pages sous une identité précise, mais au moment de la rencontre avec les lecteurs, je les protège d’un pseudonyme. Comme si, finalement, je voulais qu’ils ne gardent leurs secrets que pour moi.” Par acquis de conscience, je vais rappeler une règle d’or de cohérence entre le fond et la forme du récit : si votre histoire se passe dans une famille juive du début de siècle, éviter d’appeler le petit cousin “Louis”. Ça ne fonctionne pas. Mais ça vous le saviez déjà. (Sauf pour Manau, pour qui “Hakim” peut légitimement être fils de forgeron dans la Bretagne celtique, mais passons). Ce conseil s’applique aussi évidemment aux problématiques géographiques : “Je voulais absolument représenter la diversité des prénoms qui existent aux Philippines, où l’on peut appeler sa fille Apple Cherry Love ou son fils Baby Junior (et ce, même si on s’appelle soi-même déjà Baby!).” raconte Anaïs. Ceux-ci s’appliqueront difficilement à votre famille juive du XIXème siècle, du coup. Voilà, il ne vous reste plus qu’à… écrire un roman. Bon courage !et surtout DE RIEN. Pour découvrir les personnages dont vous connaissez maintenant tous les secrets :
Si pour vous aussi, la « ditigal detox » est un concept angoissant, si vous n’avez aucun scrupule à regarder votre téléphone avant votre mec/meuf au réveil, si vous préférez les vibrations de votre téléphone à celle d’un sextoy, si Instagram vous manque et tout est dépeuplé, alors consultez vous avez beaucoup de points communs avec Lucas, un des deux héros de mon roman Ecosystème.
En exclusivité mondiale, je vous livre un extrait (c’est gratuit !) n’hésitez pas à partager, histoire que les autres puissent profiter de leurs notifications, eux aussi. Si vous avez aimé, le reste du livre est dispo en librairies, sur Amazon et en ebook. Ecosystème, p. 78 « Lucas ne peut plus lâcher son téléphone. Ce dernier est posé sur le bureau, face vers le haut. Lucas le scrute : dès que l’écran s’allume pour une alerte, son cœur fait un bond dans sa poitrine: serait-ce un nouveau compliment? Un nouveau partage? Une nouvelle manifestation de la bonté et de la douceur d’internet ? Il n’y a rien que Lucas trouve plus exaltant que recevoir des notifications. Lorsque son téléphone est dans sa poche, il n’en sent d’abord que les vibrations, douces caresses augurales, renfermant en chacune d’elle une nouvelle fenêtre ouverte sur un monde d’opportunités numériques. Parfois c’est un vieil ami d’enfance qui le recontacte sur Facebook, parfois c’est une nouvelle vidéo mise en ligne par son YouTuber préféré, parfois c’est un mystérieux nouveau follower sur Twitter qui aime ses derniers posts. Mais pendant les quelques secondes qui s’écoulent entre la réception de la notification et sa lecture, c’est tout un champ des possibles que Lucas s’imagine: ça pourrait être une déclaration d’amour, l’annonce de la découverte de la vie sur Mars, un miracle sur son compte bancaire. Quand il les voit sur son téléphone, décorant de leurs logos colorés son fond d’écran morne et sombre, il se dit qu’elles subliment le rectangle lumineux de son écran. Pour Lucas, c’est de l’art en trois dimensions ; il aime tout dans ses notifications: leurs sons, leurs coloris, le frémissement que procure leur réception dans sa poche. Mais surtout, elles le connectent au monde. Les notifications sont une incursion dans son univers solitaire, un rappel que quelque part, même loin, sur un serveur au Texas, un signal digital est émis dans sa direction. Une notification, c’est comme un salut d’un ami lointain, un être humain qu’il n’aime que davantage parce qu’il est absent, et en même temps c’est une poignée de main désincarnée, une étreinte du web: c’est une tendresse virtuelle qu’il ressent avec toute la prégnance de la vie réelle. Plus l’effort mis derrière ce qui a déclenché la notification est grand, plus le câlin est affectueux. Si c’est le robot d’une application qui lui rappelle qu’elle n’a pas été utilisée depuis longtemps, c’est un vague regard de loin. Si c’est un rapide « J’aime » sur Facebook, c’est déjà un sourire plus chaleureux. Si c’est Marianne qui lui envoie par SMS «T où?» ou «OK», il se sent le cœur léger. Si un ami prend la peine de laisser un commentaire sous une de ses photos, il ne peut réprimer un sourire. Et si c’est un long message, un e-mail ou un texto, écrit en phrases et construit avec une véritable structure syntaxique, c’est carrément une embrassade. Comme certains sont accros au sexe, à l’affection ou aux mots d’amour, Lucas est accro à ses notifications. Il n’éteint jamais son téléphone, préfère être réveillé la nuit par un retweet que de passer six heures sans elles. Quand par mal- heur il tombe en rade de batterie, et qu’impatient, il parvient enfin à remettre en marche son appareil, il s’émerveille du spectacle des notifications qui s’accumulent sur son écran de veille, les unes après les autres, déversées par le flux des connexions entrantes. Quand il envoie un message à quelqu’un, il pense au plaisir que procure à son destinataire le fait de voir les petites têtes colorées apparaître sur son téléphone. Il sait bien que la plupart des gens sont fatigués d’entendre leur portable sonner: il entend Marianne pester tous les jours contre son iPhone qui ne cesse de sonner. Mais si la notification a été envoyée avec toutes les bonnes intentions du monde, il croit qu’elle sera bien réceptionnée. Qui pourrait s’énerver contre un « J’aime » ? Qui pourrait pester contre un gif animé envoyé sur WhatsApp ? Lorsque son téléphone reste un long moment vide et silen- cieux, l’esprit de Lucas le devient aussi, par mimétisme. Il est accablé d’un sentiment de solitude ; son humeur, comme son écran, manque de pigments. Il se demande s’il capte bien le réseau, redémarre le wi-fi, pour être sûr – on ne sait jamais, peut-être qu’un amas de notifications est resté coincé à l’ai- guillage, qu’il va les recevoir en rafale quand la connexion sera rétablie. Constatant l’absence de résultat, misérable, il répond à de vieux tweets, laisse des commentaires dans l’espoir de recevoir une réplique. Ce jour-là, sur le téléphone de Lucas et dans son cœur, c’est un tsunami de joie qui se déverse. Il reçoit des notifications dans toutes les langues, à chaque minute, et il sait que grâce aux jeux des fuseaux horaires, il passera une nuit entrecoupée de shoots de bonheur. Il n’a même plus besoin de ranger son téléphone dans sa poche, comme il le fait d’habitude, pour déguster le moment de suspense entre l’alerte et la lecture; les quelques secondes qu’il lui faut pour approcher sa main de son jean, et qui font accélérer son rythme cardiaque. Il laisse son téléphone posé là, sur la table, et se contente d’admirer le feu d’artifice irrégulier de son écran qui s’allume, puis s’éteint, et se teinte de toutes les tonalités de l’arc-en-ciel. » « Sasha et Igor persistent à nous emmener toujours plus profond dans la jungle, en escaladant des pierres, en glissant sur des troncs d’arbres morts, en évitant les vipères venimeuses et en tuant les sangsues qui nous grimpent dessus par dizaines. Après quatre heures de marche, je commence à perdre espoir.
Je me dis que c’est dommage d’avoir survécu au trafic d’organes et aux requins pour finir bouffée par une vipère, donc je suggère, du haut de ma grande expérience des îles sauvages : «On devrait peut-être redescendre vers l’océan. Au moins on saura de quel côté aller, et si on a de la chance on tombera sur une plage.» Par désespoir, tout le monde se range à mon avis. Il commence à pleuvoir et nous croisons de plus en plus de serpents. Nous arrivons rapidement sur les rochers, guidés par le bruit de l’océan. Au loin, vers le nord, on aperçoit la plage, et le tout petit point blanc nous semble être notre bateau. La côte escarpée semble longue de plusieurs kilomètres mais nous avançons sans broncher, guidés par le constat simple que nous ne disposons d’aucune alternative. Les rochers glissent et les bords sont aiguisés comme des couteaux. Mes mollets, qui n’ont déjà pas été épargnés par les sangsues, ressemblent vaguement à ceux d’un zombie. «Trop dommage, je pourrai pas me mettre en robe à la Fashion Week» me dis-je, en espérant pouvoir un jour y mettre les pieds, tout court. Après une heure à glisser, tomber, avancer lentement, la pluie se fait plus forte, et la plage semble toujours aussi loin. Igor a perdu son enthousiasme, et quand il se retourne vers moi, il admet: «Prrobliem. » Voyant que personne d’autre n’a l’air d’avoir la moindre suggestion pour assurer notre survie, que nous n’avons plus d’eau ni de nourriture, ni d’espoir, je lance une dernière proposition: «Faut y aller à la nage.» S’ensuit une conversation un peu brouillonne, en français, en anglais et en russe, dans laquelle Arthur m’accuse d’avoir eu l’idée débile d’aller sur les rochers, où Ekaterina nous apprend qu’elle ne sait pas nager, où Igor marmonne en brandissant son gros couteau, et où Sasha perd patience. Finalement, Sasha et moi confions nos affaires à Igor, Arthur et Ekaterina. Pendant qu’ils restent avec elle, au cas où, nous partons chercher le bateau à la nage. Nous plongeons lamentablement dans la mer, tout habillés, sans nous soucier d’être mouillés puisque nous sommes déjà trempés par la pluie. La sensation de l’eau fraîche est relativement salvatrice. Après quelques brasses, je me demande bien pourquoi je me suis autodésignée comme celle qui irait chercher le bateau, sachant que je nage à peu près aussi bien qu’un chat. Depuis les rochers, la mer avait l’air assez calme, mais entre une piscine de 25 mètres et l’océan Pacifique, la différence reste conséquente. À chaque brasse, les flots m’éclaboussent le visage et me brûlent les yeux. Je bois la tasse une fois, puis deux, puis je ne sens même plus l’eau salée couler dans ma gorge. Les minutes me semblent des heures et j’ai l’impression que les vagues me repoussent plus loin que mes bras, qui n’arrivent plus à me porter. Je ne vois plus très bien où est notre bateau, aveuglée par les vagues et le sel. Je n’ose même pas me demander quelles créatures étranges se meuvent sous nos pieds, si celles-ci n’attendent qu’un moment d’inattention pour venir nous mordre, nous injecter leurs venins aquatiques, nous forcer à rejoindre leur monde sous-marin. Je suis épuisée et j’ai envie de pleurer, et les mots rassurants de Sasha n’ont plus aucun effet. «Allez Mad, on y est presque.» Il est trop tard pour rejoindre le rivage, nous dévions vers le large, les vagues sont de plus en plus hautes, nos pauvres petits corps ne peuvent rien contre la houle qui nous dépasse d’un bon mètre. Le bateau me semble pourtant toujours aussi inaccessible. Qu’y a-t-il à faire ? Le monde n’est-il déjà pas suffisamment absurde pour que, pour couronner le tout, il faille que je me retrouve au milieu de vagues indomptables, dans l’océan Pacifique ? Je continue d’agiter les bras et les jambes, en direction d’un objectif qui perd petit à petit de sa consistance, à la vitesse de l’espoir qui s’amenuise. Est-ce donc ça, l’instinct de survie ? Certainement. Sinon, je m’arrêterais de brasser, le poids de mes baskets suffirait à me laisser couler vers les fonds marins, pour rejoindre ces créatures étranges que j’imagine peupler l’eau, sous les vagues. » |
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Octobre 2018
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